Si vous êtes partis en vacances fin juillet, peut-être avez-vous raté le projet de loi « Economie sociale et solidaire » présenté en conseil des ministres le 24 juillet 2013.
Bien que son intitulé ne le laisse pas présager, il s'attaque à l'un des fondements des opérations de cession d'entreprise : la confidentialité !
L'article 2 indique en effet vouloir «créer un droit d'information préalable des salariés pour favoriser les reprises d'entreprises en bonne santé par les salariés».
Lire le point du gouvernement sur le projet de loi
« Economie Sociale et Solidaire »
Qu'en est-il des chiffres donnés par le gouvernement ?
Le texte indique en préambule que 2383 PME de 10 à 49 salariés ont fermé faute de repreneurs en 2011. La source n'est pas indiquée et il serait intéressant d'obtenir plus de précisions sur ces chiffres qui me laissent perplexe… En effet, tous les professionnels vous diront – et les chiffres FUSACQ le confirment - que sur ce segment d'entreprise, ce sont généralement les repreneurs qui n'arrivent pas à trouver de cible plutôt que l'inverse. Et lorsqu'une telle société ne trouve pas preneur c'est souvent parce qu'elle n'est tout simplement pas vendable en l'état ! (difficultés financières, prix trop élevé,…)
Informer les salariés deux mois en amont, mais en amont de quoi ?
« Les chefs d'entreprise (…) devront désormais en informer leurs salariés deux mois en amont » est également indiqué dans le texte. Mais deux mois en amont de quoi ? De leur décision de vendre ? De la cession effective ? Une transmission d'entreprise est par essence totalement aléatoire, certaines se faisant en quelques jours quand d'autres nécessitent plusieurs années !
Et qu'en sera-t-il des discussions initiées par un acheteur dans le cadre d'une croissance externe, le dirigeant actuel restant aux commandes de l'entreprise rachetée ? Faudra-t-il également en informer les salariés en amont ?
Les salariés sont rarement envisagés pour reprendre une entreprise ?
Le projet de loi pointe du doigt un fait
à priori réel, à savoir que les salariés sont rarement envisagés lors d'une reprise d'entreprise. Mais en est-on vraiment certain ?
En effet, depuis plus de 15 ans que j'exerce dans ce métier, je n'ai jamais trouvé trace d'une étude sérieuse qui donnerait le nombre RES (Reprise d'Entreprise par les Salariés) observée chaque année en France. Un taux de transmission interne inférieur à 10% a cependant été repris pendant des années par les média et les pouvoirs publics jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que l'étude en question ne faisait que l'extrapolation d'une donnée « micro économique » remontée par la CCI de Haute Savoie ! Ainsi personne ne connait précisément le nombre d'entreprises concernées par ce mode de transmission chaque année, et il convient donc de manier ce pseudo constat avec beaucoup de précaution.
Néanmoins si la transmission interne était réellement très faible en France, cela serait-il réellement préjudiciable et si oui pour qui ?
Il est vrai comme le souligne le projet de loi, que le repreneur interne connait déjà les ficelles de sa société, ses clients, son marché,… mais l'important n'est-il pas avant tout que la société trouve un repreneur capable d'assurer une reprise sur le long terme et de pérenniser les emplois, peu importe son origine ?
De plus, on peut estimer qu'un repreneur externe arrivera avec des idées neuves portées par les expériences de son parcours professionnel. Ses compétences et son réseau seront notamment mis au profit de la société reprise, ce qui sera loin d'être négligeable pour son développement futur. Une société se limitant au marché français pourra sans doute s'engager plus facilement à l'export si elle est reprise par un cadre ayant ce type d'expérience.
N'oublions donc pas que la reprise par un acquéreur externe présente également de nombreux avantages !
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer un taux de reprise interne relativement faible, si l'on accepte ce constat ?
A mon sens, voici les principales raisons qui expliquent que les salariés ne reprennent pas l'entreprise dans laquelle ils travaillent lorsqu'une transmission est envisagée :
• Parce qu'ils ne le souhaitent tout simplement pas. Etre salarié d'une entreprise est très différent de diriger une entreprise et la quasi-totalité des salariés n'ont strictement aucune envie de changer de statut, de mode de vie,…
• Parce qu'ils n'en ont pas les compétences. On peut être un excellent salarié, directeur commercial, développeur informatique, … et faire un piètre chef d'entreprise.
• Parce qu'ils n'en ont pas les moyens. N'oublions pas que les apports des repreneurs personnes physiques proviennent en grande partie des indemnités de départ offertes par les sociétés lors des plans de départ volontaire ou de licenciement ! A l'heure où le pouvoir d'achat des français est le sujet de préoccupation numéro 1, la France ne compte malheureusement pas énormément de salariés affichant 360.000 euros disponibles (apport moyen des repreneurs sur FUSACQ) pour reprendre une entreprise…
Ajouter un droit d'information obligatoire ne me semble donc pas susceptible d'apporter une quelconque solution à ces causes principales de « non reprise ».
Rien ne serait pire que d'encourager des reprises contre nature qui capoteraient quelques années plus tard…
La reprise d'une entreprise n'en assure absolument pas sa pérennité… si c'était le cas, toutes les banques se battraient pour financer les reprises d'entreprise, ce qui n'est pas le cas. Les risques et les échecs sont malheureusement nombreux et terriblement préjudiciables.
L'important est donc de
favoriser des reprises durables, créatrices de valeur et non de penser que l'histoire s'arrête le jour de la reprise.
Or il apparait que les repreneurs d'entreprise sont des entrepreneurs dans l'âme. Près de 80% des repreneurs (
source FUSACQ, question posée à 1.000 repreneurs) songent ainsi à reprendre depuis longtemps.
On ne s'improvise pas entrepreneur 2 mois avant une opération car il s'agit avant tout d'un état d'esprit et d'une façon de penser et de travailler. C'est un peu comme passer du statut de sportif à celui d'entraineur. Certains ont la vocation et s'épanouiront, d'autre pas…
La crise des subprimes est arrivée parce qu'on a voulu faire croire que tout le monde pouvait accéder à la propriété, incitant les gens à s'endetter plus que de raison... Le retour de bâton a été violent et nous en payons encore les conséquences aujourd'hui. Rien ne serait pire que de mettre à la tête d'entreprise des dirigeants qui n'en seraient pas et / ou qui n'en auraient pas les moyens et qui échoueraient à terme. Ruinés personnellement, ils mettraient également en danger nos entreprises et par réaction en chaine, toute notre économie.
Informer les futurs cédants et les salariés, et motiver ceux qui auraient les capacités de reprendre, voilà l'enjeu !
Si transmettre en interne est dans certain cas une excellente option pour un cédant, pourquoi refuserait-il d'en parler aux salariés concernés ? C'est bien mal le juger que de penser qu'il doive être contraint pour prendre ce type d'initiative… Il n'y a qu'à lire l'exemple mis en avant par le gouvernement sur un bureau d'étude technique du Hâvre pour s'en convaincre !
De leur côté, les salariés sont-ils informés qu'il existe des possibilités de reprendre leur entreprise le jour où leur patron décidera de passer la main ? Reprendre une entreprise est un projet de vie qu'il faut murir car il va fondamentalement bouleverser la vie du repreneur et de ses proches. Quelques semaines sont-elles suffisantes pour qu'il décide de faire le grand saut avec tous les risques que cela comporte ?
Non bien entendu. Il faut au contraire un travail de longue haleine d'information et de sensibilisation. Informer les cédants sur le processus de transmission d'entreprise afin qu'ils puissent préparer au mieux cette opération et informer les salariés des solutions qui existent pour reprendre seul ou à plusieurs leur entreprise, et de façon plus générale, une entreprise.
Transmettre aux salariés est différent de transmettre à un ou plusieurs salariés
Quand bien même un cédant voudrait transmettre à des salariés, souvent le fait-il uniquement avec un nombre restreint voire avec un seul de ses salariés. Et la confidentialité vis-à-vis des autres salariés devient là aussi un facteur déterminant de la réussite du projet.
Ce projet de loi donne l'impression que le gouvernement ne connait que la SCOP (article 3) comme mode de transmission aux salariés… alors que les montages LBO traditionnels associés à des mécanismes d'earn-out, de crédit vendeur ou de participation du cédant au holding de reprise ont montré maintes fois leur efficacité. La transmission progressive à un salarié avec possibilité de faire machine arrière ne saurait également être oubliée tant elle comporte d'avantages pour le cédant et le repreneur en devenir.
Plus de pouvoir pour les salariés mais sans remettre en cause les droits du cédant
Le texte indique enfin « le projet de loi va donner du pouvoir d'agir aux salariés » et quelques lignes plus bas « le chef d'entreprise (…) demeure entièrement libre de vendre au prix qu'il souhaite et au repreneur qu'il désire ». Si le cédant reste libre de vendre au repreneur de son choix, je ne vois pas de quel pouvoir disposeraient les salariés, à l'exception d'un pouvoir de nuisance pour faire capoter un projet qui ne leur semblerait pas à leur goût.
Ainsi au lieu d'une mesure coercitive de dernière minute, sans doute serait-il plus utile de mettre en place une vraie politique d'information et de sensibilisation. C'est en effet beaucoup plus la méconnaissance du processus de transmission pour les cédants et de reprise pour les salariés qu'il faudrait améliorer pour faciliter les cessions d'entreprise. Les dernières dispositions modifiant la fiscalité des transmissions n'ont d'ailleurs pas aidé les chefs d'entreprise à mieux s'y retrouver…
Après les pigeons et les poussins, j'espère que les fourmis que nous sommes, travaillant chaque jour dans l'ombre pour faciliter les transactions et aider nos entrepreneurs, s'activeront suffisamment pour faire retirer ce texte et empêcher une catastrophe annoncée pour les transmissions d'entreprise et plus généralement pour l'emploi et pour l'économie française s'il venait à être adopté !
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Damien NOEL, associé fondateur de FUSACQ