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L'auteur de l'étude BPCE explique sa méthodologie et donne sa vision de la cession d'entreprise en France


Interview exclusive d'Alain TOURDJMAN qui confirme que l'étude BPCE conduit à des chiffres différents de ceux du gouvernement concernant la cession d'entreprise.




FUSACQ : Quel est le rôle de BPCE  L'Observatoire et pourquoi avez-vous décidé de vous pencher en 2012 sur la problématique de la cession d'entreprise ?


Alain TOURDJMAN : BPCE L'Observatoire a été créé dans l'esprit de contribuer au débat public sur des thèmes de société pour lesquels BPCE aurait une légitimité à prendre la parole. En 2007, lors d'une étude plus globale sur les PME où nous avions identifié une perte de dynamisme des PME au-delà d'un certain âge du dirigeant, la cession-transmission des PME et ETI m'était apparue comme un enjeu majeur pour l'avenir du tissu productif national.
De plus, je trouvais que le diagnostic établi alors sur le sujet était non seulement vague mais s'appuyait avant tout sur un présupposé, à savoir que l'âge du dirigeant était l'élément déterminant d'une cession d'entreprise. Les études antérieures étaient fondées sur ce postulat et procédaient par voie d'estimation : un potentiel de cessions était évalué en supposant qu'un prorata donné d'entreprises dont le dirigeant est âgé, céderait dans un délai relativement court.


Nous pensions enfin que des PME disparaissaient faute de repreneur et qu'il serait intéressant de mettre ce phénomène en évidence afin d'envisager des alternatives à cet appauvrissement économique et patrimonial.



En quoi votre étude « Quand les PME changent de mains » diffère-t-elle des autres études déjà réalisées sur le thème de la cession d'entreprise ?


En nous lançant dans cette étude sur les entreprises privées de 10 à 5000 salariés, notre idée était d'effectuer, sans a priori, un comptage des entreprises ayant connu une opération de cession-transmission : vente d'un fonds de commerce, cessions de parts sociales de l'actionnaire principal, transmission intrafamiliale, vente d'une filiale d'un holding ou du holding lui-même…


Notre étude « Quand les PME changent de mains » a donc demandé un travail conséquent de réflexion et de mise en œuvre pour quantifier et analyser la population des entreprises ayant fait l'objet d'une telle opération. En croisant les informations provenant de plusieurs bases de données, nous avons ainsi dénombré environ 13.000 PME et ETI concernées chaque année. Leurs caractéristiques de taille, secteur, localisation ou âge du dirigeant étant connues, il a aussi été possible de mesurer l'influence de chacun de ces critères sur la probabilité de cession.



Vous utilisez souvent le terme de « cession-transmission » alors que ces deux mots ont une signification relativement différente. Y'a-t-il une raison particulière à cela ?


Effectivement, la cession s'entend généralement pour une vente à titre onéreux alors que la transmission est associée à une donation à titre gratuit. Mais nous avons découvert qu'au-delà de la dimension statistique, la cession n'est pas strictement conditionnée par le versement d'un capital. Le plus souvent, elle a lieu quand le dirigeant a le sentiment d'avoir trouvé « le bon » repreneur et non une personne disposant de capitaux suffisants.
Il y a certes vente d'un actif, mais on cède et on transmet à celui dont on pense qu'il va pouvoir prolonger l'aventure de l'entreprise. C'est particulièrement vrai lorsque le dirigeant est âgé et que toute sa vie a été dédiée à son entreprise. On est face à une histoire éminemment humaine, indépendamment des régularités que le statisticien peut mettre en évidence.


Cela me semble décisif pour comprendre ce qu'est la cession-transmission et c'est pour cela que j'utilise ce terme y compris quand elle est réalisée uniquement à titre onéreux… C'est d'ailleurs ce qui rend les opérations délicates et qui constitue un handicap à la fluidité de ce marché. Le cédant ne cherche pas seulement une société ou une personne disposant uniquement de moyens financiers, il cherche aussi un repreneur dont il a le sentiment qu'il pourra à la fois incarner l'entreprise qu'il a créée et la porter vers de nouvelles réussites.



Le marché de la cession d'entreprise que vous avez découvert correspond-il à celui que vous imaginiez ?


Nous pensions tout d'abord qu'il y avait beaucoup plus de cessions-transmissions que ce que montraient les autres études et cela s'est confirmé. Nous voulions également mieux comprendre le rôle de l'âge : il est effectivement important mais le critère de taille est prééminent et surtout la majorité des opérations intervient avant 55 ans. En revanche, l'analyse met en évidence une spécificité des cessions en fin d'activité professionnelle : elles sont nettement moins nombreuses que les intentions de passer la main, créant implicitement un déficit d'opérations.


Dès lors, nous avons cherché à démontrer que ce déficit pouvait aboutir in fine à des disparitions. Or, ce n'est pas avéré. Certes, nous avons pu identifier quelques centaines de PME qui semblaient avoir disparu en bonne santé mais, après une recherche approfondie, il apparaît qu'une partie significative d'entre elles, surtout celles de plus grande taille, ont en fait connu une cession l'année précédente ou l'année suivante.


Les PME et ETI dont le dirigeant a plus de 65 ou 70 ans n'ont pas une probabilité plus forte de disparaître que celles dont le dirigeant a moins de 50 ans. Statistiquement, on n'observe donc aujourd'hui aucune recrudescence des disparitions quand le dirigeant est âgé. Faute de cession, celui-ci reste aux commandes, et cela entraîne surtout un vieillissement des dirigeants de PME.




Que pensez-vous des chiffres du gouvernement qui affirme que des milliers de PME saines disparaissent chaque année en France faute de repreneurs ?



Nos travaux nous conduisent simplement à des chiffres et des analyses différents de ceux des pouvoirs publics.



Et quel est votre avis sur l'obligation d'information des salariés avant toute cession proposée par Benoit HAMON ? Pensez-vous que cela pourrait améliorer les transmissions d'entreprise ?


J'avais cru comprendre au départ que la volonté du gouvernement était, avec cette loi, de traiter le sujet des disparitions d'entreprise et non celui des cessions… parce que s'il y a cession, cela signifie qu' un repreneur a été trouvé et que le risque de disparition n'est pas avéré.


Si le problème est de s'attaquer aux sociétés qui ne trouvent pas de repreneur, alors il me semble logique de mettre en place un dispositif qui leur soit spécifique.


Or le projet de loi actuel et notamment l'obligation d'information des salariés deux mois avant la cession s'impose à celles où il y a précisément une reprise qui est en train de se faire… cela me parait paradoxal.


La cession – transmission est un enjeu économique très important en termes d'emploi, de dynamisme des PME et de sauvegarde de l'activité économique dans certains départements urbains ou périphériques d'une capitale régionale. C'est aussi la réponse adéquate au vieillissement des dirigeants de PME et à son impact sur la croissance des entreprises. Tout ce qui peut lui nuire me semble hasardeux. Au lieu de dissuader, créer des réticences ou des freins à cette cession–transmission, il faudrait au contraire trouver tous les moyens de l'encourager.


L'introduction d'un délai et la diffusion d'une information aussi confidentielle à tous les salariés peut fortement pénaliser la relation qui aura été construite avec le repreneur. De plus, situer cette annonce aussi près de l'échéance, c'est introduire en bout de chaine un risque supplémentaire majeur que cette opération n'aboutisse pas.


Enfin, le fait pour le dirigeant de pouvoir lui-même présenter le repreneur auprès des clients, auprès des fournisseurs, auprès des banques, auprès du personnel,… et d'avoir la maîtrise de ce calendrier me paraît fondamental. Il est important de choisir à la fois le moment opportun et une manière qui montreront qu'il y a une sorte de transfert de légitimité vis-à-vis du nouveau repreneur.



Cependant n'est-ce pas une bonne idée que les salariés puissent se positionner comme repreneur potentiel ?


Je ne pense pas qu'on puisse dire de façon générale qu'il vaut mieux que l'entreprise soit reprise par les salariés, par un membre de la famille ou par un repreneur extérieur.


Il y a de nombreux cas où la reprise par les salariés n'est pas pertinente. Lorsque le dirigeant souhaite aller vers une transmission familiale par exemple ou lorsque, pour des raisons personnelles ou économiques, les salariés ne peuvent ou ne veulent pas reprendre. Un autre cas très parlant est lorsque l'environnement de l'entreprise n'est pas propice à une reprise par quelqu'un de l'intérieur et que la seule voie de survie est la concentration avec un concurrent ou un partenaire. Chaque entreprise est un cas particulier.


Gardons également à l'esprit qu'une reprise est une opération qui dure généralement entre 12 et 18 mois et qui va nécessiter beaucoup d'investissement en temps et en argent de la part du repreneur. Introduire, à deux mois de l'échéance, une incertitude élevée qui pourrait tout remettre en cause me parait de nature à réduire significativement la réalisation des opérations de cession –acquisition et la motivation des acheteurs potentiels à s'y lancer !


Même si certains dirigeants peuvent avoir du mal à reconnaître des talents d'entrepreneur chez leurs collaborateurs, notre enquête montre tout de même que 26% des dirigeants de PME prévoyant une cession dans moins de deux ans envisagent de céder leur entreprise à des salariés. Ni privilégiée, ni oubliée, cette option est plus souvent citée que la reprise au sein de la famille proche (25%). Pour autant, rien ne s'oppose à des mesures de facilitation de ce type de reprise pour élargir au départ le champ des possibles, mais certainement pas en substitution d'une offre déjà valide.  La demande d'une formation à la reprise -ce qui suppose qu'un tel cursus soit suffisamment accessible - pourrait constituer, dans les deux sens, un signal d'ouverture et d'intérêt...



Et si le but de la loi est d'éviter qu'une entreprise en bonne santé disparaisse faute de repreneur, alors pourquoi ne pas imposer simplement aux dirigeants de proposer leur société à leurs salariés avant une disparition définitive ?





Vous pouvez retrouver toutes les études BPCE sur le site observatoire.bpce.fr

Le détail de la méthodologie et des analyses sont disponibles en ligne.

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